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Je me coupe les cheveux !

Texte de la performance

J’ai les cheveux longs, bon OK. Dis comme ça, ça peut paraître anodin mais c’est généralement comme ça qu’on parle de moi. Je suis « la fille aux grands cheveux ». C’est ce qui me définit et me caractérise aux yeux des autres le plus souvent. C’est comme ça qu’on me reconnait. C’est d’ailleurs tellement vrai que les personnes qui ne m’ont vu qu’une seule fois dans leur vie (alors que j’avais les cheveux attachés), ne me reconnaissent pas la deuxième fois si j’ai les cheveux détachés. On me reconnait grâce à mes cheveux. Ils font partie de moi, ils sont une partie de mon corps.  Et du fait de leur place sur le crâne ils sont très visibles. Ils façonnent le visage, ils se voient « comme le nez au milieu de la figure ». Ils sont un repère pour reconnaitre les gens.
Et pourtant c’est extrêmement fréquent que des gens me touchent les cheveux. Des gens que je ne connais pas. Comme si mes cheveux ne faisaient pas partie de moi mais étaient un accessoire extérieur. Comme s’ils faisaient partie du domaine public et que tout le monde pouvait y plonger la main. Je suis consciente d’avoir des cheveux un peu originaux, mais je n’ai pas le souvenir de quelqu’un qui m’ait raconté qu’on lui touchait souvent son nez par exemple. Là je vous parle d’un truc qui m’arrive au moins une fois par mois. Par exemple, un jour j’étais à Emmaus plongée dans les bacs de vêtements. J’étais seule et là je sens qu’on me touche les cheveux. Je me retourne et c’était une bénévole qui me disait que j’avais de magnifiques cheveux. Alors ok, c’est gentil et mignon de sa part. Ok ça part d’un bon sentiment. Ok, elle a vraiment des cheveux tout pourris et elle a pas de chance. Mais oh ! Je suis pas un vieux jean du bac, je suis quelqu’un.
Au boulot aussi ça m’est arrivé. Il m’arrivait de devoir assurer des cocktails, et sans forcément devoir servir je me retrouve coincée derrière une table de petits fours. Et bah même là, malgré la table, c’est déjà arrivé qu’on me touche les cheveux. Bah tiens je vais même balancer un peu plus. Je bosse dans un très gros théâtre où il y a vraiment beaucoup d’employés. Un soir, lors d’un cocktail, des collègues techniciens HOMMES (que je ne croise pas tous les jours, mais qui savent parfaitement qui je suis) se sont allégrement penchés sur la table pour me saisir les cheveux et commenter leur texture. Voilà voilà. Et moi en bonne fille que je suis j’ai bien fermé ma gueule. Parce que oui, c’est normal de se faire toucher quand on est une fille.  J’ai vu aucun collègue masculin souffrir de ça. Attendez, non c’est faux j’ai dit des bêtises. J’ai deux collègues noirs. Oups.
Bref, je reviens à mes moutons. Et à l’origine de tout ça il y a une promesse débile que j’ai faite en 2012 : j’avais promis que si j’obtenais mon Baccalauréat du premier coup je devrais couper mes longs cheveux en carré court. C’était pas un très gros risque parce que j’étais bonne élève et je savais que j’allais probablement l’avoir. J’ai eu mon bac donc je me suis coupée les cheveux comme promis. Mais comme je suis joueuse j’ai refait une promesse. « Maintenant je me laisse pousser les cheveux jusqu’aux fesses et ensuite, je les couperais à nouveau ». Et voilà que 8 ans plus tard ce moment est arrivé.  
Moi je pensais me couper les cheveux sans histoire. Je me disais que j’allais faire mes premiers pas dans un salon de coiffure et que ça allait être une chouette expérience. Que beaucoup de gens connaissent déjà. En fait, depuis toute petite c’était une amie de ma mère qui était coiffeuse qui me coupait les cheveux à domicile. Elle me connaissait bien, je la connaissais bien donc on avait un rapport proche et intime et il n’y avait pas cette dimension de challenge de quand tu vas dans un lieu public qu’est le salon de coiffure et que tu confies tes cheveux à un inconnu. Et puis il y a tout un imaginaire autour du coiffeur. Le passage chez le coiffeur est souvent considéré comme un rituel. On peut souvent lire qu’on se rend chez le coiffeur avant de « changer de vie » ou avant « une étape importante de sa vie ». D’ailleurs les coiffeurs sont nombreux à dire que le rapport avec leur client peut s’apparenter à celui d’un psychologue. On se confie à son coiffeur. Car on partage un moment intime.
Donc, en 2020, je pensais faire mes premiers pas dans un salon de coiffure, sauf que les réactions des gens ont justes été incroyables. Personne n’est resté indifférent à l’annonce de ma coupe de cheveux. Toutes les personnes à qui j’ai dit que j’allais me couper les cheveux m’ont donné leurs avis. Que ce soit mes proches ou de parfait inconnus. J’ai tout entendu : que ce soit des avis positifs ou négatifs d’ailleurs.  « Tes cheveux sont trop beaux ne fait pas ça », « Je te préfère les cheveux longs », « j’aimerais trop avoir des cheveux comme toi, ne les coupes pas », ou bien « tu n’oseras jamais les couper », « je te préfère les cheveux courts », « Oh oui, coupe-les, ils sont trop longs c’est moche ». 
Je crois que la fois la plus drôle c’est à une caisse de supermarché. Comme d’habitude après mes courses je passe par la caisse, et comme d’habitude la caissière me dit que j’ai des cheveux splendides et qu’elle voudrait avoir les mêmes. Alors pour blaguer je dis que je pourrais bientôt les lui donner parce que je vais les couper. Et là, comme si elle avait oubliée qu’elle était au boulot elle s’est arrêtée et à commencé à me dire que je ne pouvais pas faire ça que c’était horrible, qu’il y a pleins de gens qui rêveraient d’avoir de beaux cheveux etc. 
Ce jour là j’étais avec mon copain, Théophile, et d’ailleurs j’ai remarqué un truc intéressant. A chaque fois que je dis à quelqu’un que je vais me couper les cheveux et que Théophile est là, ils ont presque tous instantanément cette réaction « et il en pense quoi le monsieur, il est d’accord ? » Je suis complètement abasourdie par cette question. Que ce soit très clair : le monsieur ce qu’il en pense il le garde pour lui. Je suis une femme Ok, mais je vis pas à travers les yeux d’un homme. Je ne vis à travers les yeux de personne d’ailleurs. Je fais ce que je veux de mon corps. 
Je dis pas ça pour m’apitoyer sur mon sort ou me la péter mais juste pour que vous compreniez qu’au bout d’un moment cette coupe de cheveux n’est plus de mon seul ressort mais implique beaucoup de monde. Tellement de monde d’ailleurs qu’en fait c’est une décision publique. 
Je me demande sincèrement ce que représentent les cheveux longs ? Pourquoi est-ce si précieux ? Et qu’est-ce qui fait si peur dans le fait de les couper ? Certes j’ai été étonnée de voir les réactions des gens quand j’ai dit que je me couperais les cheveux, mais on va pas se mentir. Moi-même j’ai une réelle fascination pour les cheveux longs. Dès que je vois une chevelure abondante, je ne me gêne pas pour regarder (même si c’est une personne dans la rue et que je me dis que c’est pas bien). Oui, les cheveux longs ont quelque choses d’envoutant. Et en même temps, je suis aussi fascinée par les cheveux courts. Et j’aime pouvoir me dire qu’au court de ma vie je vais pouvoir avoir les cheveux tantôt courts et tantôt longs. Et ça ne va pas être un sacrifice.  Oui j’ai la chance d’avoir de « beaux cheveux ». Mais c’est pas pour autant que je dois m’interdire d’en faire ce que je veux. Les cheveux sont quand même la partie du corps la plus facilement modifiable : en un coup de ciseaux ou avec une coloration hop tu change. Et le plus incroyable c’est que si tu ne fais plus rien, tes cheveux vont retrouver leur état d’origine. Imaginer deux secondes si on pouvait faire ça avec tout le reste de notre corps. On serait des super-héros. Les cheveux ont vraiment un côté magique. Je vois tout ça d’un œil hyper positif. Je vois ça comme une chance.
Je crois qu’on a tous une tendance à vouloir catégoriser. Même si on en est conscient et qu’on lutte contre ça on à tous ce réflexe primaire en nous. On est rassuré par les choses qu’on sait être dans la bonne case. Ca nous donne des points de repère et ça nous rassure. On se sent libre au centre des barrières. Et c’est sans doute pour ça que le changement nous fait peur. Ou nous déstabilise. Enfin c’est ce que je me dis. 
La question du cheveu est incroyablement vaste. C’est impossible pour moi d’être exhaustive. Il y a tellement de choses à dire. Et ça change en fonction des continents, des pays, des cultures, des traditions, de l’histoire etc. Et il y a tellement de cas particuliers surtout, et d’individualités singulières. 
Mais j’ai quand même envie de vous partager quelques petites choses. En tissant le fil de ce que symbolisent les cheveux,  je me suis rendue compte que les cheveux sont un symbole éminemment politique. C’est par exemple, en laissant pousser leurs cheveux que les hippies des années 60 marquaient leur désaccord avec les normes politiques et culturelles en vigueur. Vous n’avez qu’à plonger la tête dans la musique de l’époque et vous allez voir à quel point la question du cheveu est prolifique. 
Dans l’Histoire, il est fréquent de voir que raser le crâne avait un but punitif (comme les femmes d’après la seconde guerre mondiale, ou les esclaves. Pour infos, on rasait déjà le crâne des esclaves dans l’Egypte antique). Donc ça date pas d’hier, c’est des choses qui sont bien ancrer dans notre imaginaire collectif. 
De manière un peu plus actuelle, il y a la revendication des cheveux « texturés » au naturel. Les cheveux texturés incluent tous les types de cheveux crépus, mais parfois le terme crépu peut avoir une connotation négative. Aux Etats-Unis, on parle de cheveux afros et c’est un moyen de revendiquer son identité. De ne plus avoir à subir de discrimination vis-à-vis de ses cheveux et plus largement de sa couleur de peau. 
Les cheveux sont aussi un marqueur d’appartenance sociale. Et aujourd’hui on hérite de cette tradition. Et on la perpétue. Historiquement une chevelure abondante c’est la puissance et le pouvoir. A l’époque des Mérovingiens, les rois portaient des longs cheveux et des barbes touffues. C’était tellement synonyme de pouvoir que quand le Roi Clovis est mort, ces frères ont voulu se partager le royaume mais comme Clovis avait des fils, ses frères sont allés voir la femme de Clovis et lui ont dit « préfères-tu les voir tondus ou morts ? ». Et elle a répondu « morts » ! Le pouvoir des cheveux longs c’est le mythe de Samson : dans la bible Samson est un homme destiné à servir Dieu. Mais il n’a de pouvoir que tant qu’il garde ses cheveux longs. Un soir pendant son sommeil, sa femme lui coupe tous ses cheveux  et Samson perd sa force. 
Chez les femmes aussi les cheveux longs c’est quelque chose. C’est souvent assimilé comme un idéal de beauté suprême. C’est associé à la sensualité de la femme. Si aujourd’hui la longueur de cheveux n’est plus un signe d’appartenance sociale, la coupe de cheveux l’est elle. On retrouve des types de coupes de cheveux en fonctions de milieux professionnel et social dans lequel on se trouve. 
Sans oublier que les cheveux sont aussi un marqueur de genre. Ne dit-on pas avoir « les cheveux cours comme un garçon » ? Dans les histoires (encore aujourd’hui), les princesses n’ont-elles pas toutes de longs cheveux ? Et qui dit genre, dit forcément (dans notre société actuelle) orientation sexuelle. Il suffit de quelques recherches sur internet pour lire sur le site de France Inter : « Passer des cheveux longs à courts pour une femme, signifie passer de la séduction à autre chose. » Plus grave encore : une femme aux cheveux cours est forcément « lesbienne », tandis que la réciproque n’est pas toujours vraie.  
On doit correspondre aux critères des cases dans lesquelles on est rangés. Sauf que je ne suis pas d’accord.
Ça fait deux ans que je parle de me couper les cheveux. J’en ais énormément parlé et ces derniers mois c’était même comme si c’était déjà fait. Et là maintenant j’ai peur. Ces derniers jours j’ai fais des crises d’angoisses de morts extrêmement violentes. J’ai multiplié les cauchemars où je mutilais une partie de mon corps. J’ai peur de tout de manière exagérée. Et je me dis que ça ne peut pas être juste une coïncidence, mais que tous ces clichés, ses préjugés me pèsent aussi énormément.
Je me coupe les cheveux parce que justement j’ai envie de m’écarter de tous les préjugés, de toute la symbolique et de l’imagerie populaire occidentale. Je ne veux pas me dire que je suis obligée plus ou moins de porter telle ou telle coupe et de ne pas dépasser les limites. Je veux que mon corps m’appartienne et qu’il n’appartienne qu’à moi seule. 
Je me coupe les cheveux parce que je n’aime pas qu’on me fasse des remarques sur mon corps. Qu’elles soient négatives ou positives. Je peux entendre que ça part d’une bonne intention, peut-être que c’est une façon d’entamer la communication et un lien mais je le vis trop comme une atteinte à mon intimité. Je veux qu’on évite de m’imposer ce qu’on pense de moi. Penser ce que vous voulez, du moment que ça reste dans vos têtes. Du moment que je suis libre d’être qui je veux. 
Je me coupe les cheveux parce que je croyais que de me couper les cheveux en 2020 ça n’avait rien de symbolique mais je me suis trompée. Je ne voyais pas de fin de cycle dans ce que je suis entrain de vivre. Mais évidemment que si. Et ce cycle qui se termine c’est celui de mon adolescence. Mon adolescence s’est terminée il y a quelques années et il m’a fallu ces quelques années pour fermer la porte, digérer mon adolescence et me tourner vers la porte de la jeune femme que je suis. Aujourd’hui j’accepte pleinement ma féminité. La femme que je suis. Et ce que je suis entrain de vivre est mon rituel de passage entre la grande ado que j’étais et la femme que je suis. 
Je me coupe les cheveux parce que je veux me rencontrer. Me rencontrer vraiment. Et ne pas être celle qui va plaire aux autres.
Je me coupe les cheveux parce que je refuse qu’une fille aux cheveux courts soit forcément lesbienne. Je refuse qu’un crane rasé soit obligatoirement le cran d’un esclave ou d’un malade. 
Je me coupe les cheveux non pas pour me couper du passé mais pour me couper des préjugés.
Je me coupe les cheveux parce que je veux être libre de faire ce que je veux et de ne pas être classée dans une case « fille au cheveux longs » ou « princesse » ou « fille au cheveux courts » ou « lesbienne » je suis moi. 
Je me coupe les cheveux pour toutes ces femmes qui pensent que les cheveux longs cachent les rondeurs. Je ne veux plus me cacher derrière des clichés qui m’oppressent.
Je me coupe les cheveux parce que quand ils sont détachés, le regard des hommes sur moi me dégoute. 
Je me coupe les cheveux parce qu’en tant que comédienne je ne veux pas qu’on m’embauche pour mes cheveux longs. Ni pour mes cheveux courts d’ailleurs. Je veux qu’on m’embauche pour moi.
Je me coupe les cheveux parce que je n’aime pas ce qu’ils représentent pour les autres. Je ne suis pas mes cheveux. 
Je suis Lucie. J’ai 26 ans. Je suis une femme. Je suis comédienne. J’ai sans cesse peur que les autres ne m’aiment pas.  J’adore lire. J’aime mon chat Philippe. J’ai fais 10 ans de flûte traversière. Je fais des angoisses de mort. Je fais de l’aïkido. Je me demande toujours combien de temps mets un cadavre pour se décomposer sous terre. J’ai terriblement peur de l’espace et du vide.
Je me coupe les cheveux pour toutes les personnes qui pensent que les cheveux sont un capital. Garder les cheveux longs et les sanctifier représente l’idéal capitaliste contre lequel j’essaye de me battre. Mon temps n’est pas de l’argent, mes cheveux ne sont pas un capital temps. Mes souvenirs sont dans ma tête et dans mon cœur et je vous assure qu’ils sont bien gardés.
Je me coupe les cheveux parce qu’il n’y a pas de règles à respecter à part celles qu’on se donne.
Je me coupe les cheveux parce que je ne veux pas qu’on me dise quoi faire avec. Je veux pas qu’on me dise qu’il faut les couper, qu’il faut les garder longs, qu’il faut les donner à une association ou quoi. 
Je me coupe les cheveux parce qu’évidemment une part de moi fait ça juste par esprit de contradiction, par provoque. Parce que j’ai entendu que j’en serais pas capable. Et si je décide que je fais quelque chose, je vais au bout. Je suis têtue et je me suis mise en tête que j’avais envie de me défier. 
Je me coupe les cheveux pour me défier moi-même. J’ai peur de ne pas me reconnaître. J’ai peur de ne pas m’accepter. Mais je me fais suffisamment confiance pour savoir que j’ai raison de faire ce que je fais. Si je n’apprends pas à m’accepter qui va le faire ? 
Je me coupe les cheveux.
C’est n’importe quoi.
Je ne suis plus sûre de rien. 

Je me coupe les cheveux !

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